Approche du néo chamanisme

Par Anturus et Camille

Il est difficile de définir le chamanisme ou plutôt « les » chamanismes tant ils sont divers dans leurs formes et leurs expressions. Il s’agit d’un ensemble de pratiques cérémoniales à transmission orales contrairement aux religions monothéistes écrites, structurées, hiérarchisées.

De plus à l’intérieur même de ces courants chamaniques il y existe autant de formes de rituels qu’il y a de chamans. Ils s’adaptent au contexte de l’époque, aux besoins de leurs « clients » et à leur propre créativité et théâtralité.

Quant au néo chamanisme, ses partisans ont eux aussi une vision propre de leurs expériences mais ils en font une promotion écrite qui tend à uniformiser les pratiques pour mieux les commercialiser (livres, séminaires, stages, blogs, vente de kits d’objets rituels etc )

Un bref historique

Historiquement, les explorations occidentales du XIXème et la mondialisation ont favorisé le

syncrétisme religieux, notamment avec la théosophie et l’anthroposophie. L’appropriation culturelle nommée néo chamanisme a provoqué un métissage des pratiques sur les 5 continents, influençant le

chamanisme originel.

Dans les années 60 /70, l’appétence de la communauté hippie pour les spiritualités exotiques,

pour l’appel à la tradition et à la nature couplés avec les pratiques de transes provoquées par la prise de drogues psychédéliques ont fait du néo chamanisme une pratique de premier choix.

Le chamanisme pourrait se définir au travers de la mise en scène du rituel : la préparation de la cérémonie, sa répétition puis sa révélation devant le public.

Le chaman fait le lien entre les humains et le monde des esprits. Il est nécessairement reconnu par ses pairs et doit avoir l’approbation de ceux qui viennent chercher des solutions auprès de lui. Son titre est remis en jeu à chaque prestation comme un artiste.

Afin de comprendre les tenants de cette spiritualité, il est essentiel de s’attarder sur la pratique en elle-même. Les recherches du professeur en ethnologie, Bertrand Hell (1) mettent en lumière 7 points incontournables lors des cérémonies chamaniques. Parallèlement à chaque point, nous tenterons d’expliciter les risques liés à de telles pratiques dans un but préventif.

usage de plantes et psychotropes

« On fera usage de végétaux emblématiques tel que des plantes médicinales, des

arbres gardiens. Ce peut être pour se connecter à la sagesse et à la connaissance que posséderait le règne végétal, mais aussi pour utiliser leurs pouvoirs purificateurs en brûlant de la sauge ou autres aromatiques. »

Les plantes psychotropes seraient dotées de propriétés médicinales, purgatives physiques et permettraient l’ouverture de la conscience.

La prise de psychotropes enclenche une vulnérabilité et suggestibilité aiguë du participant qui est à la merci du « set and setting » induit par le milieu néo chamanique à porosité New age. Dans ces conditions, une seule prise de psychédélique peut convaincre le participant que ces perceptions modifiées sont réelles.

Cela changera son rapport à la réalité. Avec ce que l’on sait aujourd’hui concernant les biais cognitifs et l’absence de preuve de l’existence d’un monde astral, est-il raisonnable de proposer ce genre d’expérience ou de vouloir la vivre au risque de s’emprisonner dans des faux souvenirs, induits pas un un rituel très marquant qui viendra perturber le rapport au réel? (4)

Connexion au monde des esprits

« Des moments particuliers seront mis en place pour honorer les ancêtres et la lignée chamanique afin de recevoir leur bénédiction pour la cérémonie ainsi que leur soutient pour affronter les esprits nuisibles. »

Ces moments de prière et de recherche de connexion à des entités bénéfiques et protectrices sont des gardes fou psychologiques qui permettent de supporter les phases d’angoisse liées à l’état de transe et la perte de contrôle. Cela permet autant au chaman qu’au client de « s’accrocher » à l’idée que « tout va bien (tout est lumière) » même s’il y a des signaux d’alertes.

Offrande et transe

« On trouvera, lors des rituels, des offrandes aux esprits et divinités. En entrant en transe, le chaman permettra à ces derniers de s’incarner en lui de manière subtile ou spectaculaire et de savourer ces offrandes à travers les sens humains : nourriture, parfums, musique, chants… »

Les états de conscience modifiés jouent sur nos perceptions et interprétations des stimuli sensoriels en lien avec le « set and setting », notion promue dans le milieu psychédélique (voir encadré)

Costume et théâtralité

« Divers costumes seront utilisés durant la cérémonie. Ils seront différents en fonction du but à atteindre, ou du moment du rituel : jour ou nuit. »

Cela donne l’impression de l’existence de règles et conventions entre le monde humain et le monde astral.. Les costumes jouent sur les biais d’autorité et participent au charisme du chaman. C’est un peu la blouse blanche du médecin . Il aura donc un pouvoir d’influence particulier sur les participants qui peut facilement dériver vers des abus. (5)

Objets rituels

« Des objets rituels ( bougies, pierres, grigris ou objets naturels sacralisés…) sont utilisés pour se prémunir des mauvais esprits et de la sorcellerie d’autres chamans. »

Ici, on induit l’idée qu’un danger vital existe et que le chaman sait s’en protéger et protéger le

participant. Ainsi, l’illusion d’un combat entre le bien et le mal confirme que le monde des esprits influence le monde matériel et vice versa. Ainsi le participant aura tendance à revenir vers le chaman pour régler des problèmes relationnels, financier ou de santé en achetant régulièrement des services et des objets de protection. (6)

Rôle essentiel de la musique

« Les instruments de musique sont présents pour catalyser la théâtralité de la cérémonie en générant diverses émotions et réactions cognitives sur le chaman ainsi que sur le public. »

La musique engendre un état de conscience modifiée et peut générer des émotions pour faire « voyager » les participants. Ils ont l’impression que quelque chose de mystérieux se passe sous le contrôle du chaman. Par la musique, il prend possession des émotions et des pensées des participants. Cela lui donne un pouvoir total. Ce pouvoir, sans contrôle extérieur, génère un risque fort d’emprise) (7)

illusionnisme

« Tout au long du rituel une ambiance mystérieuse est implantée grâce à des effets

d’illusionnisme et diverses prouesses du chaman : ingestion d’eau bouillante ou bien capacité à rester « ferme » et concentré malgré la prise de psychotropes puissants… »

Cumulés, ces 7 points génèrent une fascination qui a pour but, dans la cosmogonie chamanique, de séduire les esprits. Le public qui vivra cette expérience extra-ordinaire sera convaincu qu’il s’est passé « quelque chose » dans le monde des esprits. Ce « quelque chose » aura des conséquences dans la réalité humaine. La cérémonie pourra engendrer un effet de « prophétie auto réalisatrice ». (8)

Le participant peut très facilement déifier le chaman. Et le chaman peut très facilement développer un égo de gourou. Dans ces conditions, les limites et les règles sociales saines peuvent être transgressées au nom de la guérison pouvant nécessiter de passer par le mal pour y mettre de la lumière et ainsi libérer les liens karmiques. Ce genre de situation dérive facilement vers des viols, escroqueries et emprise mentale.

Après ce bain de lumière et d’amour (9) il n’est pas rare que des participants aient des difficultés à revenir de leur voyage dans la froide réalité du monde. Certains refuseront un retour à la normale et se radicaliseront dans leurs pratiques spirituelles, au risque de s’éloigner de leur famille, profession ou amis qui ne sont pas en accord avec leur nouveau paradigme. Cet isolement social est un signal d’alarme indiquant un glissement vers une dérive sectaire.

Le chamanisme ne serait-il pas une forme de manipulation des sens et des biais cognitifs via la tradition subie en premier lieu par le chaman lui-même via ses initiations?

Étant donné l’illusion qu’il nourrit, ce « savoir » ancestral est il un gage infaillible de maîtrise des états de conscience modifiés ?

Les chamans savent-ils vraiment ce qu’ils font au cerveau avec leur psychotropes et leur « set and setting » ?

Dans une recherche sincère de bien être et d’évolution, peut-on se fier à cette manipulation auto-consentie transmise du maître à l’apprenti chaman qui en usera sur ses clients à des fins triviales de profit pécuniaire et de valorisation sociale ? (4)

L’effet placebo est-il une justification suffisante pour dire que ces pratiques sont plus bénéfiques que nuisibles? Ce genre de situation dérive facilement vers des viols, escroqueries et emprise mentale.

Anturus

Camille

Sources :

(1) Bertrand Hell, sa conférence :