L’Archange et la gourelle :
Combat d’une mère
Suite à un entretien avec Nathalie, qui a eu le courage de me livrer un témoignage poignant et détaillé, elle a gentiment accepté que je retranscrive ici ses propos. Nous avons fait ensemble plusieurs constats dramatiques, dont celui de l’ignorance de la population, et même parfois de certains pouvoirs publics sur l’évolution des dérives sectaires. L’image persistante de la communauté enfermée autour d’un gourou contribue à l’expansion des sectes sur internet. Tant que ce phénomène ne sera pas mis en avant afin d’alerter sur les dangers bien réels de la mise sous emprise via les réseaux, nos concitoyens seront les proies faciles des gourous et autres charlatans du net. De plus, Nathalie veut mettre l’accent sur la détresse des victimes de ses nouvelles communautés en ligne qui ne sont pas crues, ni par leur entourage, ni par les forces de l’ordre et qui doivent se battre pour être entendues. Elle souhaite garder un total anonymat, ainsi, les prénom et les lieux seront changés dans le texte qui va suivre.
1) Mise en contexte :
Je suis maman de deux enfants, un garçon et une fille. Je les ai élevés seule suite au départ de leur papa. Durant une période de 11 mois, j’ai vécu avec un compagnon. Jusqu’à ce que mes enfants, alors âgés de 5 et 7 ans m’alertent sur ses agissements : cet homme était pédophile. J’ai immédiatement réagit et dans la nuit, j’ai fuit, en emmenant avec moi mes deux enfants et le minimum vital.
Après une lutte sans succès auprès des autorités d’une durée de un an ( période pendant laquelle mon ex compagnon m’envoyait des menaces de mort ) j’ai finalement abandonné toutes les poursuites.
Mes enfants ont pu avoir un suivi psychologique, et comme je les élevais seule, nous étions très soudés.
Pour me relever de tout ça, j’ai adhéré à quelques croyances New age, la surface en somme. Je croyais au karma, à la loi de l’attraction. Je guérissais de mes traumas grâce à la méditation et la prière. Force est d’admettre, qu’à ce moment-là, ça m’a fait du bien. J’ai passé mon premier degré de reïki. Je parlais de toutes ses croyances à mes enfants, tout en les mettant en garde de potentielles mises sous emprise.
J’avais une forte méfiance envers les individus cherchant à se placer au-dessus des autres. Par exemple, j’étais inscrite dans un cours de yoga, dans lequel j’étais assez épanouie. Mais lorsque ma professeur de yoga nous a invités en petit groupe dans une « journée rencontres » pour adresser des chants et des prières à la gourelle hindou Amma, j’ai tout de suite décidé de m’éloigner de ce groupe. La déification d’une personne a toujours été pour moi un signal d’alerte. Alerte que j’ai transmis autant que faire se peut à mes enfants.
2) Rencontre avec la gourelle
A 27 ans, pendant le confinement, ma fille a commencé à fréquenter des groupes ésotériques sur les réseaux sociaux, notamment Facebook. Elle était à ce moment-là, une jeune maman, installée à côté de chez moi avec son compagnon. Nous étions toujours très soudées, je gardais régulièrement son fils, nous parlions quotidiennement. Cependant, sur les réseaux, elle a fait la connaissance de celle que j’appellerais « la vieille », une femme prétendant guérir les âmes malades et aider les êtres les plus élevés spirituellement à retrouver leur divinité. Malheureusement, ma fille a été séduite par ses discours et a commencé à beaucoup échanger avec elle. Lorsqu’elle m’a parlé de cette femme, j’ai opposé une certaine résistance, lui expliquant que les discours qu’elle tenait ne me plaisaient pas du tout.
A compté de ce moment-là elle a commencé à s’éloigner de moi, trouvant des prétextes toujours différents pour ne pas me voir, sans me faire part de sa relation avec sa gourelle. Je croyais à ce moment là qu’elle s’était éloignée d’elle.
Quelques mois se sont écoulés jusqu’au jour où, par texto, elle a décidé de rompre le lien avec moi. Son vocabulaire avait changé, je ne reconnaissais pas ma fille dans de tels propos. C’est alors que son compagnon est venu m’alerter . Il m’a expliqué qu’elle ne sortait plus du tout de chez elle, qu’elle passait des heures au téléphone avec sa gourelle à faire des méditations, des prières, des rituels divers et variés, des mantras ect…. Selon « la vieille » ma fille était un archange terrestre et j’étais une créature de l’ombre qui cherchait à la manipuler. Elle expliquait également que l’amour de la famille n’existait pas, que c’était une entrave terrestre dont il fallait se défaire.
Après l’envoi de cet étrange message, elle a bloqué tout contact avec moi, et je ne l’ai plus jamais revue. Pendant quelques temps, je voyais encore quotidiennement mon petit fils et le compagnon de ma fille, qui ne croyait pas une seconde aux délires de « la vieille ». Puis, elle m’a accusée d’avoir tenté de la vendre à des réseaux pédophiles lorsqu’elle était petite. Probablement victime de faux souvenirs induits, ma fille a fini par m’interdire de voir mon petit fils et mon gendre, sans doutes convaincu de cette dernière affirmation a rompu le lien également. Je les ai alors assignés en justice. J’ai eu droit, pendant un petit temps, de voir mon petit fils une fois par mois dans un lieu neutre.
3) Le paradigme de « la vieille »
Le nombre exact de ses adeptes est difficile à définir, agissant sur les réseaux et par téléphone, il est impossible de quantifier exactement les personnes qui la suivent. Cependant, elle a toujours « autour d’elle » trois personnes, que j’appelle « sa triade », trois élues dont ma fille fait partie. Ce sont, selon elle trois Archanges : L’une d’elle serait l’incarnation de l’âme d’un dauphin, à ce titre, elle est partie s’installer en bord de mer. Une autre est un « papillon », elle a le pouvoir de parler aux oiseaux et bien sûr, aux papillons et la dernière, ma fille, a le pouvoir de communiquer avec les « chefs des autres planètes ». Ce qui est très inquiétant aujourd’hui, c’est que la gourelle prétend qu’à sa mort, les trois élues de sa triade devront la suivre et le monde s’arrêtera. Après enquête, tout porte à croire que cette femme met tout en place pour organiser un suicide collectif.
De plus, son système de recrutement est très prolixe. Elle fréquente plusieurs pages Facebook, sur lesquelles il est très simple d’entrer en contact avec elle. Les quelques personnes qui ont voulu infiltrer son mouvement n’ont eu qu’à lui envoyer un commentaire pour qu’elle les appelle très rapidement et passe plusieurs heures au téléphone, à tenir des propos très perturbants.
Elle organise des rencontres entre adeptes, mais ne s’y rend jamais. Enfermée chez elle, elle n’a jamais rencontré physiquement ses victimes.
Elle incite ses adeptes à une sexualité débridée, malgré des réticences de certaines ( conduisant l’une d’entre elle à faire une tentative de suicide).
Elle se vante devant ses fidèles, d’avoir guéri énormément d’âmes d’archanges terrestres et que son ex mari s’est suicidé pour lui délivrer des messages de l’au delà, afin qu’elle dispense la vérité au monde.
Elle a également fait faire des « régressions » à mon petit fils de 4 ans pour qu’il retrouve ses vies antérieures. Je l’ai vu, lors d’une garde, demander « pardon » à ses frères et sœurs invisibles.
Cette femme incite également à l’abandon de traitements médicaux et coupe systématiquement ses victimes de leurs familles.
Plus vicieux encore, elle ne demande aucune contrepartie financière à ses adeptes, ce qui est d’autant plus attirant pour le chaland et permet d’éviter qu’on l’accuse de charlatanisme.
4) Le combat
J’ai mis environ deux ans et demi avant de contacter les autorités, constatant qu’il y avait énormément de plaintes sans suite, et craignant que ma démarche ne tombe dans l’oubli. J’ai donc préféré mener une enquête très approfondie au préalable avant de m’adresser aux organismes concernés. De plus, pendant mes deux années d’enquête, j’espérais au fond de moi que ma fille me revienne et que tout ce cauchemar s’arrête.
Ayant cumulé des écrits, des enregistrements, des témoignages d’anciennes adeptes, et ayant également pris contact avec la sœur d’une autre victime, j’ai enfin signalé la gourelle aux autorités. J’ai convaincu la sœur de faire un signalement, quant aux anciennes adeptes, elles craignent encore la « puissance spirituelle » de « la vieille » et ne veulent pas porter plainte.
Juste avant de contacter les autorités, j’ai engagé un détective privé pour qu’il me vienne en aide. Il a été d’une grande écoute et d’une grande efficacité.
Le fait de ne jamais être crue me ronge profondément. J’ai dû donner un nombre incalculable de preuves à mon avocate pour qu’elle admette que ma fille est belle et bien dans une secte, malgré le fait qu’elle ne vive pas dans une communauté fermée.
J’ai également contacté des associations de lutte contre les dérives sectaires. Ils m’ont proposé une écoute, et enfin, j’ai eu des interlocuteurs qui m’ont crue et comprise. Cependant, ils ne m’ont proposé aucune prise en charge. Je n’ai reçu aucune aide juridictionnelle ni psychologique. Je pensais pouvoir accéder à des groupes d’échange entre familles de victimes, pour y trouver soutien et écoute. J’ai dû trouver moi même d’autres proches de victimes pour échanger. Les associations ne proposent pas ça. Je regrette de voir que des personnes en grande détresse financière comme moi ne peuvent demander un soutien financier pour quelques séances chez des psychologues compétents ou pour des démarches judiciaires. Je suis en invalidité, ainsi, je ne peux travailler. Je reçois 900 euros par mois, ce qui ne me permet pas d’avoir un suivi psychologique malgré ma profonde détresse. J’ai dû vendre ma voiture pour payer mes frais juridiques.
Outre le fait d’avoir perdu ma fille et mon petit fils, une grande partie de ma famille m’a tourné le dos. Ma mère et mes sœurs pensent que j’affabule. Ma fille, de son côté mène toute une campagne de diffamation à mon encontre, me traitant de pédophile, de toxico, d’alcoolique. Ma famille est détruite, je ne sors presque plus de chez moi, par crainte de ce que les gens peuvent croire ou non à mon sujet. Je vis dans une souffrance quotidienne et je n’espère plus qu’une chose, c’est qu’on empêche cette gourelle de nuire. Cette lutte que je mène depuis 3 ans contre elle est mon seul souffle, sans lequel je m’effondrerais.
Je me joins à Nathalie pour vous remercier d’avoir lu ce témoignage jusqu’au bout. Afin de lutter contre l’emprise mentale qui conduit non seulement les adeptes mais également leur entourage dans des situations de souffrance extrêmes, il est grandement nécessaire de libérer la parole et de communiquer massivement sur ces sujets. Je tiens à saluer le courage dont fait preuve cette maman dans son combat. Je tiens également à la remercier pour la confiance qu’elle m’a accordé, me permettant la rédaction de ce texte. J’espère sincèrement avoir retranscrit au mieux ses propos. Son témoignage est précieux et à ce titre, je vous demande le plus grand respect dans vos commentaires. Si toutefois vous souhaitez lui proposer une aide pertinente et constructive ( psychologue, assistante sociale ou autre) vos suggestions seront les bienvenues.
Camille.
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