Anthroposophie et technophobie s’invitent dans le rapport public sur les écrans dans l’enfance



Par Amélie Tsaag Valren, CamilleB, Mathieu P.

Un rapport « d’experts » consacré aux usages des « écrans » dans l’enfance a été remis mardi 30 avril dernier, à la suite d’une demande de l’exécutif.
Sous son titre proustien, comme le précise L’Express (cf : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/anthroposophie-autisme-les-etranges-contributions-au-rapport-sur-les-enfants-et-les-ecrans-FDBVYWZBDBCMRBC5SE53MH7JCE/),
le-dit rapport est décrit comme « basé sur la science ».
Si les deux présidents du comité qui en est à l’origine sont respectivement Servane Mouton (neurologue) et Amine Benyamina (professeur de psychiatrie), sa porosité aux avis pseudoscientifiques et alarmistes détonne. Sur une dizaine d’experts à l’origine de cette rédaction collective, on note l’absence de docteurs en sciences de l’information et de la communication spécialisés en usage des outils numériques. Les écoles Waldorf et le collectif technophobe « CoSe » s’invitent en revanche parmi les contributions écrites.

Lien vers le rapport : 
https://www.vie-publique.fr/rapport/293978-exposition-des-enfants-aux-ecrans-rapport-au-president-de-la-republique 

Interrogé par L’Express, Amine Benyamina a reconnu « quelques loupés », justifiés par un délai de rédaction très court. 



La notion d’écran n’est pas définie

Dans ce rapport, qui débute par un préambule puis une synthèse, la confusion règne pour définir la notion d' »écran ». Alors que la littérature scientifique précise bien qu’un téléphone portable n’est pas égal à une télévision qui elle-même n’est pas égale à un écran publicitaire à LED (ni en ce qui concerne les usages, ni en termes de technologie utilisée, ni pour la durée d’exposition), le rapport les amalgame très régulièrement dans un concept étendu et flou d’ « écrans ». Rien d’étonnant, puisque les définitions et études d’usages des outils numériques font partie de la discipline des sciences de l’information et de la communication (infocom), non-représentée parmi les dix experts du comité.

Ce manque de précision induit d’inévitables confusions dans les sections relatives aux méfaits des « écrans » sur la santé des enfants. 

Pour ne garder à titre d’exemple que les chapitres au sujet des troubles du sommeil et de la myopie (qui conclut à une responsabilité des écrans dans « l’épidémie de myopie » en chargeant régulièrement la lumière bleue), il aurait été nécessaire de préciser que la responsabilité de la lumière bleue n’est pas certaine, en parallèle de l’avis tranché du comité sur l’inefficacité des technologies de réduction de l’émission de lumière bleue. 

Bon point en revanche, le rapport prend en compte la présence d’écrans publicitaires sur les espaces publics, ce qui constitue une avancée au regard de l’invisibilisation de cet élément dans les discours politiques.
L’association Neurodiversité France avait souligné ce problème ici :
 https://laneurodiversite-france.fr/ecrans-et-enfants-impense-des-espaces-publics/

Les écoles Steiner-Waldorf sont invitées

Dans la section relative aux contributions écrite reçues par la commission, il est fait mention des écoles Steiner-Waldorf, appartenant à la société anthroposophique, connues pour leur discours technophobe dépourvu d’assise scientifique. La justification avancée serait qu’ils interviennent depuis longtemps sur le sujet des liens entre enfance et technologies.

Cette commission nationale, supposée se baser sur les avis de la société civile, inclut donc dans son rapport une organisation suspectée de dérive sectaire et faisant l’objet de plusieurs saisines à la Miviludes. De ce fait, l’intégration de la fédération des écoles Steiner Waldorf au sein de cette commission constitue une porte d’entrée pour la société anthroposophique dans les décisions gouvernementales. Il est nécessaire de rappeler que la défiance des anthroposophes vis-à-vis des écrans trouve son origine dans la croyance au démon « Ahriman » (démon de la technologie): https://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=1514#tocto1n3  Au regard de tels éléments, cette commission s’appuie non seulement sur des pseudo-sciences, mais également sur une doctrine religieuse problématique et potentiellement dangereuse. 

Rappelons que certains enseignants Steiner-Waldorf exercent sans les autorisations nécessaires. Sur les quarante enseignants de l’établissement, 14 n’ont pas les autorisations requises pour enseigner. Plus préoccupant encore, certains d’entre eux ont reçu des avis défavorables de la préfecture du Haut-Rhin il y a plusieurs années, mais continuent néanmoins d’enseigner alors que l’école en est informée.

Rapport accablant sur l’école Steiner près de Colmar : Manquements graves et enseignants non autorisés – Skeptics in the Pub

Une bonne (dose de) CoSe ? 

Le Collectif Surexposition écrans (CoSe), épinglé pour des discours alarmistes et parfois pseudo-scientifiques, a été auditionné via la contribution de deux de ses membres, le Dr Anne-Lise Ducanda et Sabine Duflo.

Anne-Lise Ducanda (voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne-Lise_Ducanda), médecin généraliste, est bien connue pour le rôle qu’elle a joué dans la diffusion d’une croyance selon laquelle l’usage d’outils numériques rendrait autiste (autisme virtuel). Cela relève d’une stratégie dite de fear mongering (culture de la peur), comme l’ont démontré Stéphanie de Vanssay dans son article publié par Les dossiers de l’écran en 2020, intitulé « L’autisme virtuel » provoqué par la surexposition aux écrans : une panique morale ? : https://www.cairn.info/les-dossiers-de-l-ecran–9782365122573-page-39.htm , et le journaliste scientifique Jean-Yves Nau. Celui-ci, dans un article publié par la Revue médicale suisse, souligne « des chiffres effrayants [qui] sont avancés: un enfant sur vingt, dans chaque classe d’âge, dans une ville donnée. Des chiffres cinq fois supérieurs aux statistiques communément citées sur la prévalence des troubles du spectre autistique ! Enfin, affirmation tout aussi fantaisiste, il nous est assuré que la suppression des écrans conduit dans la majorité des cas à la disparition des symptômes en un mois » : https://autismo.ch/wp-content/uploads/2018/06/MISCELLAN%C3%89ES-POL%C3%89MIQUES-ADDICTOLOGIQUES-SYNDROMIQUES-ET-LITT%C3%89RAIRES-.pdf

Le rapport assène que l’usage des « écrans » pourrait aggraver l’autisme et le TDA/H des personnes qui en « souffrent ». Une affirmation qui ne repose sur aucune preuve, comme le souligne le Dr Catherine Barthélémy dans l’article de L’Express. 

En revanche, il existe des preuves que les enfants autistes préfèrent communiquer via des technologies numériques afin d’éviter les difficultés liées aux interactions en face à face : https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/17549450200900015/full/html ; 
https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14649360802382586 ; 
https://meridian.allenpress.com/idd/article-abstract/52/6/456/1872/Intersections-Between-the-Autism-Spectrum-and-the .
Aucune de ces études n’est citée dans le rapport.

Faire respecter les droits des neurodivergents, sans leur ôter des libertés

En pointant des effets néfastes des « écrans » sur les enfants autistes et TDAH sans distinguer les usages et les outils, ce rapport relève d’une énième tentative de créer une enclave de droits réduits pour les personnes neurodivergentes. 

L’urgence est pourtant de faire respecter les droits humains fondamentaux des enfants ayant des troubles du neurodéveloppement (accès à l’instruction, accès à l’emploi, accès aux soins), déjà trop souvent bafoués. Pas de leur en retirer. La France est condamnée pour non-respect des droits humains fondamentaux des enfants handicapés, autistes en particulier. La dernière condamnation du Conseil de l’Europe remonte à seulement un an : https://www.lefigaro.fr/flash-actu/pour-le-conseil-de-l-europe-la-france-ne-respecte-pas-les-droits-fondamentaux-des-personnes-handicapees-20230417

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